LE JOURNAL DU FESTIVAL

comme si vous y étiez....

par Anne-Soizic BOUËNARD

 

  Deauville, cousin de Sundance…
 


Deauville, cousin de Sundance : tout semble être dit…
Cette année, encore plus que les autres, on assiste au rapprochement des deux festivals sur plusieurs points :
- d’une part du fait du peu de stars confirmées ayant fait le déplacement (l’ombre de Venise plane) ; heureusement celles sur place jouaient le jeu, et nous ont permis de vivre de grands moments ;
- du coup, le public découvre des artistes (et en fera peut-être des stars) ; on pense à Patrick Wilson ou Aaron Eckhart qui ont fait tourner les têtes, à Darren Aronofsky et Emilio Estevez qui, avec The fountain et Bobby, ont électrisé l’audience par leurs génies et leur sensibilité ;
- des films en compétition majoritairement « sponsorisés » Sundance Institute, gage d’indépendance face aux majors, de travail, et surtout de motivation à créer des œuvres personnelles et uniques en leurs genres ;
- et des documentaires laissant voir une société américaine bien différente de celle présente dans les médias habituels : ici fragile, cassée, se remettant en cause, pleine de doute et de peur en l’avenir… questionnant par là-même notre société française, et plus largement mondiale.

   
 
Sous le soleil normand bien présent, il paraissait étrange d’aller s’enfermer dans les salles obscures... mais…
autre changement du cru 2006 : l’audience (et donc l’ambiance). L’accessibilité du festival rendue possible par le gain de places gratuites avec les journaux locaux semble maintenant bien connue : un public non-habitué se rue sur ces opportunités dès tôt le matin, et dans les salles de projection qui jusqu’ici renfermaient plutôt des passionnés et connaisseurs du style.
Cela a son côté positif certes, mais quel dommage de voir le peu de monde présent à l’hommage rendu au grand Mr Sydney Pollack !
Enfin… si les noms seuls de personnalités connues ont été critères de choix, certains ont manqué de grands films…
   
 
Côté compétition, le choix du jury présidé par Nicole Garcia a dû être difficile.
Autour du thème de la famille et du changement dans la vie, 11 films se disputaient le Grand Prix.
Des films prenant le spectateur à bras le corps et surtout au cœur : beaucoup d’émotions de toutes sortes à la vue de ces œuvres bien construites et royalement interprétées par des acteurs méritant une reconnaissance du public et des professionnels.
Entre Twelve and holding et Stephanie Daley, c’est la jeunesse américaine qui est dépeinte : l’un s’attachant à la période de pré-adolescence au travers de trois portraits de jeunes en construction et cherchant leur place dans un monde plus dur qu’ils ne le pensaient (décès, vengeance, sentiment amoureux, rebellion contre l’usuel alimentaire, relations avec les parents…) ; l’autre évoquant au-delà de la problématique des grossesses adolescentes la rencontre de deux femmes se nourrissant de l’histoire de l’autre pour faire évoluer leurs vies culpabilisées par la perte d’un enfant (remarquable Tilda Swinton et bleuffante Amber Tamblyn).
Avec Little children, A guide to recognizing your saints, Sherrybaby, et Little miss Sunshine, on s’attaque à la famille et à son fonctionnement. Sujet sérieux traité du drame à la comédie, abordant d’autres thèmes annexes tels que la pédophilie, la drogue, le poids du passé, la rédemption ; thèmes chers et habituels du cinéma indépendant d’outre-atlantique.
La rédemption et les faux-semblants, tout aussi bien abordés dans Forgiven, Half Nelson, The oh in Ohio, ou Hard Candy, . Des films puissants amenant à une réflexion intéressante sur le fonctionnement de nos démocraties, entre individualisme et vie en communauté.
Le film totalement à part restera immanquablement Thank you for smoking : son ton humouristique et cynique décalé, son thème des plus actuels (le tabac, sa place, son pouvoir sur la santé et le système en place) et son casting de révélation avec Aaron Eckhart (vu aussi dans la section avant-première) en tête d’affiche a tout pour plaire.
Dans cette palette multicolore, les jurés ont attribué le Grand Prix à Little miss Sunshine : un film frais porté par un incroyable casting, pourtant d’emblée assuré de trouver son public du fait de son traitement d’images coloré, habituel, presque « commercial ».
Half Nelson, qui nous permet de retrouver Ryan Gosling, se voit attribuer le Prix du Jury et celui de la révélation Cartier. Autre double vainqueur, Sherrybaby, qui reçoit le Prix du scénario et celui de la critique internationale (et à qui on aurait ajouter celui de l’interprétation féminine à Maggie Gyllenhaal s’il existait !).
Une remise de prix traduisant donc bien le ton de ce festival 2006 : entre cinéma indépendant « traditionnel » (plus « expérimental ») et celui qui semble se créer à l’attention d’un public plus habituel avec une forme plus consensuelle ; une image actuelle du cinéma américain !
   
 
La section documentaire présentait aussi 11 films, une première…
Dommage que l’organisation des projections ait rendu impossible le visionnage de la totalité de ces films (certains étaient programmés aux mêmes horaires dans des lieux différents) et qu’ils ne soient visibles que sur un seul week-end (très intensif donc !) : devoir choisir entre des documentaires et des premières n’est pas chose aisée pour un cinéphile !
Les documentaires étant bien souvent le moyen de prendre la température d’une société, il est à espérer que cette section se maintiennent les années futures mais qu’elle soit aussi organisée avec de réels temps d’échanges et de débats dans la salle : le côté éducatif et citoyen de ces films n’étant plus à prouver, ils mériteraient que soient discutés les messages et valeurs exprimées afin qu’elles fassent cheminer tout à chacun.
Deux thèmes majeurs ont été abordés cette année. Par l’angle de la culture, on touche du doigt la musique tsigane (émouvant When the road bends), noire américaine (Dave Chapelle’s block party), country (portrait saisissant de Neil Young par Jonathan Demme), ou l’histoire du cinéma gay au fil de temps, tout comme celle de l’équipe de football de New-York. Et enfin, ce qui est cher au style documentaire, le sujet politique : la montée de l’antisémitisme en Europe (Ever again), la guerre en Irak au travers des portraits touchants de civils (Iraq in fragments), les erreurs judiciaires (The trials of Darryl Hunt), la crise climatique (Who killed the electric car ? ou l’histoire rapide de la voiture électrique, et l’affolant An inconvenient truth avec un Al Gore en parfait orateur), ou l’immigration solidaire (God grew tired of us).
Ces deux derniers ont retenu toute l’attention des jurys comme des spectateurs : le premier touche au cœur le dysfonctionnement de nos institutions et de nos comportements individuels sur la question de l’“apocalypse climatique qui nous attend si nous ne faisons rien“, dixit Antoine DE CAUNE, qui souhaite voir ce film sur la chaîne câblée avant les échéances présidentielles. L’autre a reçu le Prix Canal+ : travaillé en partenariat avec National Geographic, il amène de l’humilité et de l’émotion au travers des portraits d’hommes déracinés pour survivre dans notre monde conflictuel.

 

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